Match Point : jeu, set et match

par Timothée GERARDIN

Américain - 2005 - 2h03 - Couleur - Métrage : 3365.28 - Visa : 113974 avec Jonathan Rhys Meyers, Scarlett Johansson, Emily Mortimer, Matthew Goode

Jouer avec les mots, avec les situations, avec la caméra, avec les genres cinématographiques, voilà le principe des films de W. Allen depuis une trentaine d’années. Si ce n’est probablement - et heureusement - pas la fin de la partie, notre petit névrosé à lunettes marque avec ce nouveau film une superbe balle de match.


Avant tout, mise à distance du personnage - de la personnalité - Woody Allen. Son absence à l’écran n’est même pas comblée par un acteur de substitution (c’était le rôle de Jason Biggs dans le sympathique Anything else). Personne ne plaisante sur ses névroses devant la caméra. Non, Jonathan Rhis- Meyers n’est pas bavard, pas particulièrement paranoïaque et d’une apparence plutôt sereine. Pour couronner le tout, l’action se déroule à Londres, si loin de New York city...

C’est que Woody Allen n’est plus ici cet hyper-actif tour à tour devant et derrière la caméra, dans l’histoire et parlant au spectateur, etc. Il choisit le statut de cinéaste (au sens classique). Il est pourtant présent : ses motifs de prédilection (la relation de couple, la profusion de références culturelles... )s’intègrent remarquablement bien à la singularité stylistique du film. Woody Allen joue son rôle de grand maître des destinées - non sans une pointe d’auto-dérision, distillée dans tous les plans - : quel sens donner à la vie de Chris ? Au fond, c’est lui, en tant que cinéaste, qui décide de quel côté la balle rebondira. Dès ce moment - celui où l’on retrouve Woody Allen - se manifeste à même le drame quelque chose d’irrésistiblement comique, un plaisir gratuit qui s’ajoute à la tragédie, la regarde avec un sourie en coin.

Car c’est bien de tragédie dont il s’agit - la chance (le sort) est le thème du film. Une tragédie filmée à la Hitchcock et hantée par les démons de Dostoïevski. La caméra ne quitte jamais son personnage, crée des tensions, marque les instants de suspens. Cette façon de filmer maintient continuellement l’angoisse face à l’ambiguité du destin de Chris : ascension ou chute ? En attendant une réponse, il s’agit de suivre obstinément le personnage tragique, de le suivre jusque dans sa lubie, jusque dans le rituel du crime prémédité. Un crime, sur fond de musique d’opéra, évidemment plus absurde et dérisoire que moralement répréhensibles.

Scarlett Johansson, magnifique, offre une certaine sensualité - plutôt nouvelle en fait dans le cinéma de W. Allen - au dilemme de la tragédie classique.

L’humour, discret mais bel et bien présent, réside tout autant dans les ressorts traditionnels de l’ironie tragique, que dans une prise de distance par rapport au destin du personnage. Prise de distance paradoxale, puisqu’elle se fait malgré un point de vue qui accompagne l’acteur. Woody Allen raconte aux journalistes qu’il a voulu mettre en scène l’absurdité de la vie. Tout n’est qu’une question de chance - comme celle qui fait que le criminel Chris n’est pas châtié. Nous ne sommes pas obligés de le croire. Les perspectives d’avenir de notre héros torturé ne semblent pas particulièrement joyeuses. Après l’amusante intervention des « démons » de Nola et de sa voisine et le plan sur le visage angoissé de Chris, il est évident que justice est déjà rendue - l’enjeu de chance est bien superficiel.

C’est plutôt le triste comique de la situation qui l’emporte. Cette fois, les blagues de Woody Allen montrent bien plus qu’elles ne parlent. C’est un beau revers dans son oeuvre.